Après l’annulation du cantonnement de Gujan

La cour d’appel de Bordeaux a rendu ce 25 janvier un arrêt annulant le cantonnement des droits d’usage des Gujanais sur la forêt usagère de La Teste. La transaction du 7 avril 1993 créant un cantonnement partiel entre usagers et propriétaires Gujanais sur le territoire de Gujan (lire l’extrait ci-après), porterait atteinte à l’intérêt général des usagers de La Teste.

extrait de l'arrêt de la Cour de Cassation de Bordeaux du 25 janvier 2010

extrait de l’arrêt de la Cour de Cassation de Bordeaux du 25 janvier 2010


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Cet arrêt, pourtant lourd de conséquences, est ainsi motivé par un lamentable contresens. Cependant il se trouvera des commentateurs pour passer outre et se féliciter de sa portée symbolique, et tant pis pour la justice.

Comment en est-on arrivé là ?

Cette transaction, conclue à l’initiative de Michel Bézian, alors maire de Gujan-Mestras, avait permis à sa commune de constituer gratuitement un patrimoine correspondant à 12,5 % de la forêt usagère de La Teste de Buch, en échange de l’abandon des droits d’usages, pratiquement tombés en désuétude, des habitants usagers de Gujan-Mestras. Un accord que nombre de Gujanais s’accordent à considérer très avantageux pour leur collectivité, d’autant plus que la transaction était assortie d’une clause de bail de chasse au loyer symbolique de 1F (0,15 €) pendant 25 ans au profit des chasseurs Gujanais.

Cette transaction sera la cible d’une salve de procédures.

Un véritable harcèlement judiciaire

L’association de défense des droits d’usages (ADDU) attaque la Commune de Gujan-Mestras, les propriétaires signataires et les Syndics des propriétaires, présents à la signature. Le 9/03/1999, le TGI Bordeaux déclare cette association irrecevable.

2e tentative : un intervenant ad hoc, dit Société civile du patrimoine des usagers attaque les signataires puis se désiste. Le 26/02/2002, le TGI Bordeaux constate le désistement d’instance des demandeurs.

3e tentative : l’association « des propriétaires ayant pins défenseurs de la forêt usagère » attaque à son tour les signataires. Le 13/02/2001, le TGI de Bordeaux juge le demandeur irrecevable et le 11/10/2004, la Cour d’Appel confirme le jugement de première instance.

En 2001, enfin, la commune de La Teste de Buch, sous le mandat de Jean-François Accot-Mirande, attaque à son tour les parties au cantonnement de Gujan. Le 21/11/2006, le TGI de Bordeaux, constatant que la transaction du 7 avril 1993 n’est pas opposable à la Commune de La Teste dont les habitants continueront à bénéficier de l’usage sur toute la forêt, déboute les plaignants de leur demande en nullité. La commune de La Teste interjette appel de ce jugement.

La municipalité Eroles, alors même qu’elle semble rechercher avec les propriétaires de la forêt usagère les moyens de revitaliser le rôle social de la forêt au travers d’un projet de transaction, poursuit l’action en annulation engagée et perdue en première instance par son prédécesseur à la Mairie.

Tandis que Gujan-Mestras et les propriétaires réitèrent les conclusions qui leur avaient permis de repousser celles de La Teste en 2006, la cour d’appel de Bordeaux rend le 25/01/2010 son arrêt invalidant le jugement de première instance.

La transaction de 1993 est annulée !

Les habitants usagers Gujanais vont recouvrer leurs droits d’usage dans la forêt de La Teste. Les propriétaires cantonnants vont recouvrer leurs propriétés délaissées. Les autres clauses de la transactions sont annulées aussi.

Même si les modalités pratiques de ce retour en arrière restent à mettre en oeuvre, il est intéressant d’analyser les effets secondaires de cet arrêt de la cour d’appel sur les parties prenantes.

Victoire à la Pyrrhus

Pour les habitants de Gujan-Mestras, la perte d’une opportunité de constituer gratuitement un patrimoine représentant plus de 400 ha de forêt classée ; la perte aussi de cette garantie de pouvoir chasser gratuitement dans l’ensemble des 3600 ha de la forêt usagère.

Pour les habitants de La Teste, une victoire à la Pyrrhus. En effet, l’arrêt de la Cour d’Appel crée une véritable insécurité juridique pesant sur toute future transaction avec les propriétaires de la forêt usagère, même si cette transaction ne portait que sur l’exercice des droits d’usage des seuls habitants d’une commune. Par conséquent, l’initiative actuelle visant à restaurer le rôle social de la forêt usagère en fixant un taux de dévolution de bois d’oeuvre et de bois de chauffage bien supérieur aux cubages constatés ces dernières années, en obtenant une grande libéralité d’accès à la forêt par les randonneurs et promeneurs, en négociant des droits de chasse très en dessous des standards forestiers… cette initiative a probablement déjà fait long feu.

Pour les propriétaires, et bien ceux qui avaient accepté de faire l’avance, au profit de la collectivité, de 12,5% de leur patrimoine vont les récupérer. Une pas si mauvaise affaire pour ceux qui pensaient que ce cantonnement avec Gujan-Mestras avait coûté bien cher en regard de la faiblesse des prélèvements usagers effectifs.

Pour la collectivité des habitants, la mauvaise affaire, c’est le maintien du statu quo, de ce statut archaïque qui, depuis la faillite de l’économie du gemmage, a pétrifié les parties prenantes de ce massif, empêchant la mise au point d’une régulation raisonnable et profitable pour le plus grand nombre.

Si d’aucuns prétendent que la forêt usagère est en pleine santé et une vitrine de gestion exemplaire grâce au prélèvement sporadique de l’usage, les propriétaires et avec eux les observateurs impartiaux, déplorent son état de délabrement sanitaire, l’énorme gâchis de produits et d’espaces que la nature nous offre et dont ne profitent ni les usagers sincères, ni les autres habitants des deux communes usagères, ni aucune entité sociale ou économique auxquelles ce massif est interdit.
La gestion paysagère du site classé, du moins en forêt usagère, mise au point avec la DIREN en 2008 n’est pas prête à être mise en oeuvre. Un échec paradoxal de la politique de protection ?

Et maintenant ? Que peuvent faire les propriétaires de la forêt usagère ?

Entre accablement et détermination

Il ne faut pas se le cacher : confrontés depuis plus de 30 ans à une incessante guerrilla contre toute initiative de remise en marche de la forêt, trop longtemps niés dans leur responsabilité, dépassés par les incivilités, les provocations et les vols de bois inpunis, découragés par l’absence de soutien face aux difficultés d’entretenir leur patrimoine déficitaire, de plus en plus de propriétaires historiques, héritiers de modestes gemmeurs ou de familles locales anciennes, baissent les bras et préfèrent se séparer de leurs parcelles plutôt que d’en encombrer leurs successeurs. Il est à craindre que ce mouvement entraine un profond changement de sociologie des propriétaires, avec notamment la dilution des valeurs traditionnelles qui, partagées entre Bougès et Barbots, propriétaires comme usagers, constituaient une véritable culture, la meilleure protection de la forêt usagère.

Pour ceux, anciens comme récents propriétaires, qui trouveront la motivation de poursuivre la remise en marche de la forêt usagère, plusieurs voies d’action se présentent, parmi lesquelles :
– former un pourvoi en cassation, à l’encontre du jugement d’appel de ce 25 janvier ;
– redoubler d’efficacité dans la procédure de cantonnement judiciaire, pour faire homologuer la double majorité requise par l’article L224-3 du Code Forestier ; en effet, ce cantonnement permettrait un affranchissement à un coût bien moindre puisque valorisé en regard des prélèvements usagers légitimes quasi inexistants (les abus et vols de bois ne pouvant pas être pris en compte) ;
– entre temps, face à l’impossibilité de tirer quelque ressources de la gestion forestière, même durable, rechercher les moyens d’un juste revenu, par exemple en valorisant au prix normal l’accès à ce massif exceptionnel pour les activités récréatives. En moyenne nationale, les droits de chasse représentent 25 à 30% des revenus des sylviculteurs. Or l’ACCA de La Teste paie depuis des années un droit dérisoire. Nombre de propriétaires réclament une régularisation.

Et, si telle ou telle conséquence de cet absurde arrêt de cassation, venant conclure une longue série de manoeuvres d’expropriation symbolique ou pratique sinon juridique, semblait inadmissible aux yeux de certains, les propriétaires ne sauraient mieux répondre que par le conseil d’exiger des véritables responsables de la situation qu’ils prennent leurs responsabilités.

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